… et mise au point sur le Wood Wide Web
Les relations entre champignons et plantes sont l’un des fondements de la vie sur Terre. Il nous reste énormément à apprendre sur la nature et les fonctions de ces interactions. Ces dernières années, le concept de réseaux mycorhiziens, appelés Wood Wide Web (en référence au World Wide Web), est devenu très populaire et de nombreuses idées allant bien au-delà des preuves scientifiques actuelles se sont répandues. C’est pourquoi il me semble utile de brièvement faire le point sur l’état actuel de la recherche dans ce domaine. |
Ce que nous avons l’habitude d’appeler champignon n’est en fait qu’une fructification, un organe qui ne dure souvent pas plus de quelques jours et à l’aide duquel le champignon se reproduit et se disperse via les spores. Le reste de cet organisme vit caché dans le sol sous forme de filaments, le mycélium, constitué de cellules allongées, les hyphes. Les champignons, comme nous autres animaux, sont hétérotrophes, c’est-à-dire qu’ils sont incapables de faire eux-mêmes la synthèse de leurs éléments constituants. Ils se nourrissent donc de matière organique préexistante. Ceci contrairement aux plantes qui synthétisent leur sucre par photosynthèse.
Une mycorhize est une symbiose mutualiste entre un champignon et une plante. Les deux organismes sont connectés au niveau des racines de la plante, et font preuve d’une complémentarité remarquable. Les racines des plantes leur permettent d’extraire du sol l’eau et les sels minéraux dont elles ont besoin. Cependant, le mycélium, beaucoup plus dense, plus fin et plus étendu, est bien plus efficace pour explorer le sol et en absorber les nutriments. Ainsi, le champignon fournit la plante en eau et en sel minéraux, et en échange la plante partage avec son partenaire les sucres qu’elle produit. Selon les estimations, 80 à 90% des plantes vasculaires1 terrestres ont besoin de mycorhizes pour vivre correctement. De plus, il semble que cette symbiose ait été une condition essentielle à la colonisation de la terre ferme par les végétaux. Il n’est donc pas exagéré de dire que le monde tel que nous le connaissons n’existerait pas sans mycorhizes.
On distingue sept types de mycorhizes, classées en deux grands groupes: les ectomycorhizes, où les hyphes enveloppent les racines sans pénétrer les cellules, et les endomycorhizes, où les hyphes pénètrent à l’intérieur des cellules de la plante. Je vais m’arrêter plus en détail sur les deux types les plus répandus.
Les endomycorhizes arbusculaires sont de très loin les plus importantes, on les retrouve chez environ 80% des plantes terrestres. Le partenaire fongique dans ce cas fait toujours partie de la classe des Glomeromycota, peu connue, car ces champignons ne forment que des fructifications microscopiques sous la surface du sol. Ils sont pourtant nécessaires à la vie de la grande majorité des plantes.
Bien que plus rares, les ectomycorhizes ont également une grande importance. Leur panel de partenaires végétaux est relativement réduit, mais il contient les espèces qui forment la quasi-totalité des forêts tempérées et boréales de l’hémisphère nord (sapins, épicéas, pins, mélèzes, hêtres, chênes, saules, bouleaux et peupliers). De plus, les champignons impliqués forment de grandes fructifications, dont certaines sont des mets recherchés (bolets, chanterelles, truffes) ou des espèces toxiques justement craintes (amanites, paxilles et certains cortinaires). La spécificité de l’association est très variable. Certains champignons sont strictement liés à une espèce ou un genre d’arbre donné, d’autres s’unissent aux feuillus ou aux conifères en général, alors que d’autres encore se contentent de presque n’importe quel arbre.
Nous avons jusque-là considéré les mycorhizes à un niveau individuel, c’est-à-dire entre une plante et un champignon. Étant donné les distances sur lesquelles un mycélium peut s’étendre, on considère probable depuis des décennies l’existence de réseaux complexes reliant plusieurs plantes et plusieurs champignons. Les premières expériences confirmant cette hypothèse ont été réalisées en laboratoire sur une demi-douzaine d’espèces de plantes. En 2010, des chercheurs canadiens ont cartographié le réseau mycorhizien d’une forêt de sapin de Douglas en identifiant génétiquement tous les individus de deux espèces de champignons et les sapins sur une surface de 900 m2. On a ainsi pu savoir quels champignons et quels arbres étaient connectés. Cette expérience a été reproduite plusieurs fois dans la région, avec des résultats similaires.
Plusieurs scientifiques se sont également penchés sur les possibles transferts de ressources entre plantes via ces réseaux. Ainsi on a par exemple pu démontrer que si on inocule une plante avec du CO2 contenant beaucoup plus d’un isotope2 de carbone que la normale, on retrouve beaucoup plus de cet isotope dans la plante voisine si les deux sont liées par une mycorhize que si elles ne le sont pas. Une étude a même pu suivre la progression du carbone à travers les hyphes par radiographie. Un plus petit nombre d’études ont testé de manière similaires des transferts d’azote, de phosphore et d’eau. Il a aussi été montré à quelques reprises que le transfert peut être bidirectionnel et varier au cours des saisons. Il semblerait par exemple, dans le cas d’un sapin et d’un bouleau, que le premier, qui effectue de la photosynthèse toute l’année, soit particulièrement enclin à envoyer du carbone au bouleau sans feuilles en hiver, alors qu’en été la tendance s’inverse, le bouleau étant plus productif que son voisin durant cette période.
Pour résumer, la formation de réseaux mycorhiziens communs est très probable et a été démontrée de manière expérimentale. Mais comme presque toutes les études à ce sujet examinent des sapins de Douglas au Canada, il reste donc à déterminer si ces échanges sont également fréquents dans les nombreux types d’habitats qui composent la biosphère. Des transferts de ressources, en particulier de carbone, ont été observés à plusieurs reprises, mais les données actuelles ne permettent pas de savoir à quel point les quantités transférées affectent les plantes. Ici aussi, seul un petit nombre d’espèces ont été testées et les effets saisonniers étudiés sur des périodes de deux à trois ans au maximum. De plus, la quasi-totalité des expériences ont été faites sur de jeunes pousses d’arbres. Il n’est donc pas possible de prédire si ces mécanismes perdurent au long de leur vie.
On entend également souvent parler de signaux de défense qui passeraient par ces réseaux. Bien que ce soit théoriquement possible, à l’heure où j’écris ces lignes les quelques études, à ma connaissance, à avoir testé cette hypothèse n’a produit aucun résultat convainquant. Les lecteurs et lectrices les plus attentives auront peut-être remarqué un autre problème: toutes ces recherches sont concentrées sur les plantes. Or, une mycorhize est composée de deux partenaires et nous ne savons pour ainsi dire rien de la dynamique de ces réseaux du point de vue des champignons. En délaissant de la sorte la moitié des organismes participant à la symbiose, nous ne pouvons pas espérer la comprendre un jour.
Article écrit par Robin Pétermann
1 Les plantes vasculaires sont des plantes à tige, feuilles et racines dans lesquelles l’eau puisée dans les racines circule dans la plante, ce qui leur permet d’atteindre de grandes tailles.
2 Les isotopes sont des atomes qui possèdent le même nombre d’électrons – et donc de protons, pour rester neutre -, mais un nombre différent de neutrons.
Sources
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