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Des transports publics gratuits

Depuis le mercredi 24 août 2021, une récolte de signature en faveur de l’«initiative vaudoise pour des transports publics gratuits, écologiques et de qualité» a débuté. La question de la gratuité des transports publics s’est déjà posée en Suisse, comme au Locle (NE) en 2004 ou à Genève en 2008. Jusqu’à présent, aucun canton n’a instauré la gratuité des transports publics. Pourquoi? Ce sujet divise et soulève de nombreuses questions: qui finance? La gratuité existe-t-elle? Peut-on garantir des transports communs de qualité sans financement des usager·ère·x·s? Dans cet article, nous allons tenter de nommer les différents enjeux qu’implique ladite gratuité des transports publics. 

Commençons donc par un petit bilan romand. Où en est actuellement la question de la gratuité des transports en commun? 

Le canton de Fribourg, lui, a déjà mis en place une gratuité ciblée: des abonnements ont été distribués aux étudiant·e·x·s et écolier·e·x·s. Ceux-ci leur donnent accès aux transports publics de l’agglomération de Fribourg. Une initiative pour une gratuité cantonale a été déposée et devra être votée. Quant au canton de Neuchâtel, une votation aura bientôt lieu pour une gratuité cantonales de transports publics, cependant le gouvernement Neuchâtelois incite d’ores et déjà à s’opposer à l’initiative et propose à la place certaines réductions et réévaluations tarifaires. A Genève, une pétition a été déposée le 1 juillet 2020. Elle demande que la part des transports en commun actuellement financée par les usager·ère·x·s le soit par les plus riches et les entreprises.  Dans le canton du Jura, une motion a été déposée par l’un des députés, ce qui a amené le sujet au cœur des débats. Idem pour le Valais, c’est un sujet politique d’actualité mais aucune votation en vue pour le moment. Et comme indiqué au début cet article, depuis le 24 août 2021 a lieu une récolte de signature pour une pétition qui demande la gratuité des transports publics vaudois.  

Finissons par l’exemple de Monthey, ville valaisanne qui de mars 2020 jusqu’à décembre 2021 assumera le coût des transports publics de ses habitants dans le but de redynamiser la fréquentation des centres villes et donc la consommation locale affectée par la crise sanitaire. Cet essai est un succès : la fréquentation des transports publics a augmenté de 27 % et la ville a distribué 25’000 billets. (www.monthey.ch). 

Petit aparté: les Etats-Unis, la France et l’Estonie ont déjà mis en place des transports gratuits dans certaines villes et villages. Ces exemples hors de notre pays peuvent servir d’inspiration, mais jamais de modèle à copier-coller. En effet, la question du financement est régionale. Elle dépend de qui finance actuellement ces transports et à quel pourcentage, et de qui pourrait les payer à la place des usager·ère·x·s. Pour ces mêmes raisons, les solutions varient d’un canton à l’autre. 

Pour mieux saisir les enjeux complexes de ladite gratuité des transports publics, nous allons d’abord voir les arguments qui s’y opposent, puis ceux qui soutiennent l’initiative.  

Des arguments qui s’opposent à la gratuité des transports, celui qui ressort le plus est que la gratuité n’existe pas. En effet, si les usager·ère·x·s ne paient pas leur titre de transport, quelqu’un devra les financer à leur place. D’ailleurs, dans la ville de Monthey, les transports communs sont dits offerts et non gratuits. La différence vaut la peine d’être soulignée. Elle met en avant le fait que les transports publics ont un coût tant économique qu’écologique (électricité, matériaux nécessaires à la construction des infrastructures). La question du qui pourrait les financer fait débat. 

De cet argument découlent les deux suivants: avec moins de financement, les transports publics seraient moins solidaires et moins attractifs et, par conséquent, moins fréquentés. Moins solidaires car l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite et la mise en place de transports publics plus étendus (dans les petits villages peu desservis par exemple) ne pourraient pas se faire, et moins attractifs car sans financements conséquents l’offre ne pourrait pas être rendue plus performante. En effet, l’avis de certain·e·x·s est que rendre les transports en commun gratuit ne rimerait pas avec diminution de l’utilisation de la voiture. Ce qui ferait pencher la balance du côté des trains et des bus est une amélioration de l’offre en rapidité, en étendue et en fréquence. 

Celleux qui argumentent en faveur de ladite gratuité des transports publics ne nient pas qu’une amélioration de la qualité de l’offre des transports en commun est nécessaire à l’augmentation de leur fréquentation. Il s’agirait ici d’un choix politique en termes d’investissement fait par l’Etat. En effet, iels considèrent que l’Etat (le canton de Vaud en l’occurrence) a les moyens de financer les transports publics de façon à ce que ceux-ci n’aient pas à être payés par les usager·ère·x·s (ni par titre de transport, ni par augmentation des impôts) et soient améliorés. Le choix serait politique, l’argent qui n’est actuellement pas mis pour les transports publics étant investi ailleurs. 

Pour les cantons ou Etats plus pauvres, d’autres moyens de financement comme une taxation des plus riches et des entreprises serait une idée. C’est le cas en France à Châteauroux, par exemple. Une autre alternative serait que les entreprises paient l’équivalent des coûts de transports en commun de leur employé·e·x·s pour participer au financement de ces transports. 

Aux yeux des défenseurs de la gratuité des transports en commun, ce choix est primordial pour des raisons de crise écologique et sociale. Par leur prix onéreux, ils ne sont pas accessibles à tou·te·x·s. Rendre le train et le bus gratuit serait un moyen de démocratiser leur accès et leur utilisation. Le prix actuel des transports en commun inciterait également à utiliser la voiture, émettrice importante de gaz à effet de serre, plutôt que de prendre le train et le bus, une mobilité douce et aux émissions de CO2 et autres polluants divisées entre ses utilisateur·trice·x·s. De plus, cette incitation à une alternative aux transports privés qu’est la voiture est, pour une fois, non punitive.  

La gratuité des transports publics aurait également des vertus économiques. L’argent actuellement mis par les ménages dans les transports en commun pourrait être investi ailleurs dans le circuit économique. Rendre les centres villes plus accessibles (pas de place de parc à trouver et à payer, gratuité, qualité de l’offre) pourrait les redynamiser ainsi que les activités commerçantes qui y sont développées. 

Finalement, la gratuité des transports en commun a d’ores et déjà prouvé son efficacité, notamment à Monthey où la fréquentation a augmenté jusqu’à 27%. Ce succès requière une bonne anticipation pour mettre en place suffisamment de véhicules, particulièrement aux heures de pointe. Au risque de réitérer les erreurs du Luxembourg qui a dû revenir à des transports publics payants, tant ils étaient fréquentés lorsqu’ils étaient gratuits. Cet exemple ne signifie pas que la gratuité est impossible (elle est en place dans de nombreuses villes en France et aux USA ainsi que dans la capitale de l’Estonie) mais qu’il est nécessaire d’être attentif·ive·x à l’étendue complexe de ses enjeux et effets.  

Pour conclure, que retenir sur une possible gratuité des transports publics ? 

Pour commencer, il ne s’agit pas de gratuité à proprement parler mais d’un financement plus solidaire. Le train et le bus ont également un coût écologique, bien que moindre à côté de la voiture. Le vélo et les déplacements à pied restent donc à favoriser. Néanmoins, abolir l’achat des titres de transport par les habitant·e·x·s sur un territoire donné répond à un réel besoin social et écologique. Bien sûr, une telle initiative peut faire peur. Qui peut garantir à 100% que ça va marcher? Personne. Mais personne non plus ne peut prédir que ça ne va pas rouler. Nous faisons face à une véritable crise écologique. Une crise demande des choix innovateurs et parfois perçus radicaux. Peut-être qu’un financement solidaire, appelé « gratuité », en sera un.


Liens et sources ayant servis à rédiger cet article:

www.rts.ch : divers articles sur la gratuité des transports publics, interview d’Anaïs Timofte et Alberto Mocchi, et de Raihyana Kuwunka, Océane Gex, Christophe Jemelin et Gilles Cottet, et Le Point J : les transports pulbics gratuits, ça marche vraiment ? 

www.monthey.ch
www.ne.ch 
www.transportspublicsgratuits.ch

Crédits image: @nesezy_art