[ Actualités ]

Les néobiotes

L’impact de l’activité humaine sur l’écosystème lémanique 

L’impact que nous avons sur l’environnement et incontestable. Citons l’importation d’espèces exotiques. Ce phénomène est visible dans l’écosystème lémanique depuis le début du XXème siècle avec l’introduction successive d’une vingtaine d’espèces exogènes (non indigènes).  

C’est bientôt le printemps… et oui le temps passe vite je sais. Mais quoi de plus agréable que d’entendre à nouveau le chant des oiseaux, de constater jour après jour que le soleil illumine nos journées plus longtemps et de voir certaines espèces sortir de leur phase d’hivernation ? Parmi ces dernières ont peut citer les écrevisses qui se réveillent gentiment d’un état de dormance qu’elles adoptent lors de la saison froide. Le lac Léman, où tu auras peut-être l’occasion de te baigner dans quelques mois est l’hôte de plusieurs espèces d’écrevisses. Ce qui est moins sympathique pour la faune locale est que certaines de ces écrevisses sont des néobiotes envahissants. Découvrons ensemble ce que cela signifie.  

Un néobiote, ce terme un peu barbare désigne toute espèce exportée hors de ses limites géographiques par le biais d’activités humaines dans un laps de temps très court. Ainsi, une espèce en provenance des États-Unis par exemple peut parvenir jusque dans nos lacs de par des introductions volontaires ou involontaires.  

Mais n’est-ce pas positif pour l’écosystème lacustre qu’est le lac Léman de voir sa faune s’enrichir davantage ? Dans ce cas pas vraiment car concernant les néobiotes, certains d’entre eux peuvent développer des caractères d’envahisseurs.  Les principales caractéristiques de ce type d’individus sont de provoquer des dégâts économiques sur un habitat, de nuire parfois à la santé humaine et d’engendrer des dommages divers sur la biodiversité indigène.  

Concernant l’écrevisse quelques espèces venues de pays lointains, notamment des USA, se sont retrouvées dans les eaux lémaniques afin de combler le manque d’autres espèces d’écrevisses indigènes dont les populations chutaient à cause de la présence de polluants notamment. C’est le cas de l’écrevisse à pattes rouges, très sensible à la qualité des eaux. De taille plus imposante, les néobiotes offrent plus de chair que les espèces autochtones ce qui est intéressant d’un point de vue culinaire. Le problème c’est que ces derniers se sont plutôt bien acclimatés: plus résistants aux polluants ils sont très vite entrés en concurrence avec les écrevisses indigènes. Leur atout le plus redoutable est un agent pathogène, la peste des écrevisses, dont ils sont généralement porteurs sains mais qui est mortel pour les autochtones.  

L’écrevisse signal, originaire de la côte ouest des États-Unis et du Canada, est l’un de ces néobiotes envahissants qui mettent en danger nos espèces indigènes. S’adaptant facilement à différents types de milieux aquatiques, elle parvient facilement à coloniser de grands lacs comme le Léman ou encore de petits affluents, mettant en danger d’autres crustacés locaux se trouvant de préférence dans de petites rivières. Les écrevisses à pattes blanches par exemple sont l’une de ces espèces, dont la survie est menacée pour cause de l’avancée de l’envahisseuse dans les cours d’eau.  

Et que faisons-nous pour tenter de protéger nos espèces locales ?  

L’écrevisse signal peut être considérée comme faisant partie intégrante de la biodiversité suisse vu l’ampleur de sa présence. Il est difficile de l’éliminer par des moyens chimiques car cela mettrait en danger d’autres individus du milieu. Alors il est préférable de tenter de protéger les espèces locales. Pour cela, des réintroductions d’écrevisses autochtones peuvent se faire mais l’environnement doit être minutieusement choisi au préalable. Les décapodes doivent disposer d’un terrain adéquat à leur mode de vie. La qualité des eaux est un facteur tout aussi important à surveiller vu la sensibilité des crustacés autochtones à la pollution. Ainsi ces diverses mesures sont à prendre en considération lors de renaturation de points d’eau. En plus de ces mesures, un certain nombre d’exigences à respecter sont demandées aux acteur·ices exploitant les alentours de points d’eau où pourraient se trouver des écrevisses. Cela est valable pour les pêcheur·euses, plongeur·euses, agriculteur·ices et autres secteurs responsables de la gestion des forêts ou encore des bordures de routes. Il est important de noter que les spores de la peste des écrevisses peuvent être disséminés vers d’autres points d’eau si du matériel de pêche ou de plongée n’est pas désinfecté après utilisation dans un site potentiellement infecté par l’agent pathogène. Des barrages à écrevisses peuvent parfois être posés dans le but d’empêcher la propagation de néobiotes envahisseurs dans de petits cours d’eau qui habiteraient des autochtones. Durant l’été 2021, le tout premier barrage à écrevisses du canton de Vaud a été posé au Boiron de Morges, rivière affluente au lac Léman, en vue de protéger des écrevisses autochtones. 

Pour cet article j’ai choisi de parler des écrevisses principalement car leur cas est exceptionnel en Suisse. Il représente le premier groupe taxonomique (se rapporte à toute règle de classification permettant ainsi de réunir des êtres vivants ou des choses dans des groupes selon un aspect ou une caractéristique déterminée) répertorié composé de plus d’espèces exotiques que d’indigènes. Mais bien évidement d’autres néobiotes envahissants sont présents en Suisse et tous les types d’écosystèmes sont concernés. Ainsi, on peut retrouver la présence de plantes envahissantes venues d’ailleurs que l’on nomme néophytes telle que la Berce du Caucase. Le suc qu’elle libère au contact avec notre peau et à la suite d’une exposition au soleil peut provoquer des cloques suivies d’une cicatrisation difficile. D’autres néophytes libèrent de grandes quantités de pollen, ce qui est problématique pour les personnes souffrant d’allergies.  

Tu l’auras compris, ce type d’espèce est nuisible pour nos écosystèmes. Un travail de sensibilisation de la population est indispensable pour tenter de lutter contre cette problématique. Car la plupart de ces introductions sont volontaires. Rends-toi simplement chez le·a fleuriste et demande-toi lesquelles de ces belles plantes à fleur sont des espèces locales ? Il suffit d’acheter quelques-unes de ces plantes ornementales, de les planter dans ton jardin et, ça y est, dans quelques années elles peuvent potentiellement développer un caractère invasif. Concernant les écosystèmes aquatiques, il existe même une loi mise en vigueur par le conseil fédéral interdisant à toute personne de relâcher un quelconque animal aquatique dans la nature. L’impact de ces néobiotes envahissants sur un écosystème donné est non négligeable et nous en sommes en partie responsables. Tu réfléchiras à deux fois avant de relâcher ton poisson rouge dans la nature ! 😉 

Pour revenir à la problématique des écrevisses: devons-nous voir ces nouvelles introductions uniquement d’un point de vue négatif ? Si l’on prend en compte les nuisances causées à la faune locale et que l’on souhaite préserver la biodiversité existante, alors ces néobiotes sont à éradiquer au plus vite. Mais d’un autre côté, ces espèces sont très appréciées par certains domaines. Celui de la restauration en fait partie. Quant à la pêcherie professionnelle, ses préoccupations se dirigent souvent plus vers des intérêts économiques. Pour la pêche de loisir, la dominance va vers la qualité du divertissement. Une riche biodiversité est donc préférable. Concernant l’écrevisse signal, sa présence dans le Léman aurait l’effet bénéfique de réduire les problèmes de dermatite causés par les puces de canard, car le néobiote s’alimente en grandes quantités de limnées, hôtes intermédiaires des parasites. 

Le réchauffement de la planète et les activités humaines transforment les écosystèmes. Les pollutions sont en hausse. Ne serait-il pas alors favorable d’accepter ces changements et de tolérer ces espèces plus résistantes aux contaminations ? Pleins de questions de ce type peuvent se poser quant aux bénéfices apportés par les néobiotes mais le bilan global les concernant prouve qu’elles ne sont bénéfiques qu’à un nombre restreint de personnes ou d’entreprises.


Liens et sources

NENTWIG (Wolfgang), Espèces invasives 

LÉVÊQUE (Christian), La biodiversité avec ou sans l’homme ? 

Crédits photo: https://www.rts.ch/2021/12/03/22/22/12693956.image?mw=1280