Vous souvenez-vous de la ZAD (zone à défendre) de la colline du Mormont? De ces militant·e·x·s qui ont pris racine sur une colline d’Eclépens (VD) afin de faire entendre leur désaccord avec la destruction par Holcim de ce lieu riche en biodiversité? Holcim, une cimenterie Suisse également réputée comme l’une des plus polluantes au monde. Vous rappelez-vous cette ZAD, la première de Suisse? |
Le 21 mars 2021, ma colocataire et moi nous y sommes rendues dans le but de savoir comment fonctionnait une ZAD au quotidien. Eclairée sur place par des zadistes et munie de mes notes et mes souvenirs, je vous y emmène. Allons (re)découvrir des idées et expériences alternatives à nos modes de vie!
Après avoir suivi une petite route bétonnée, nous arrivons devant une barricade, porte d’entrée du lieu de vie des zadistes. A ce moment déjà une chose nous impressionne: l’accueil. En effet, nous ne comptons plus le nombre de personnes qui nous ont souhaité la bienvenue, et nous sommes touchées par l’entrain avec lequel elles ont répondu à nos questions. Une fois à l’intérieur, un autre aspect attire notre attention: tout est en construction constante. Qu’il s’agisse des infrastructures (barricades, cabanes dans les arbres, aménagement des lieux) ou du fonctionnement de la vie communautaire.
Cette construction permanente peut prendre place grâce à une absence de hiérarchie figée, ce qui demande une grande organisation. Une zadiste nous explique leur fonctionnement. Chaque matin, iels font le point sur les groupes et réunions de la journée et procèdent à la répartition des rôles. Les tâches quotidiennes, telles que la cuisine, les toilettes sèches ou les constructions, sont prises en charge sur une base volontaire. Les militant·e·x·s qui ne résident pas sur place apportent également leur soutien. Afin que chacun·e·x puisse apporter ses idées et contribuer à la vie collective, des sous-groupes (médias, constructions, «care») ont été mis en place. Régulièrement, des assemblées générales sont organisées afin de partager les nouvelles idées et réflexions de tout le monde.
Bien que l’idéal vise à un fonctionnement horizontal, anti-oppressif et non sexiste, les zadistes remarquent régulièrement qu’iels retombent parfois dans des schémas stéréotypés. Par exemple, les hommes cisgenres ont tendance à plus s’exprimer en groupe que les femmes ou les minorités de genre. Ou bien les tâches de style cuisine sont plus souvent prises en charge par des femmes et celles de construction par des hommes. Des paroles vécues comme oppressantes peuvent prendre place dans certains échanges. Des hiérarchies informelles se forment également. Les zadistes semblent très consient·e·x·s de leurs limites et tentent d’y remédier. Iels abordent ces sujets lors de groupes de paroles et prennent des décisions en conséquence.
Par exemple, le groupe care (prendre soin de soi et des autres) a mis en place le safeword «ouch!» que peut utiliser une personne quand elle se sent oppressée. Ce à quoi l’oppresseur·euse·x· répond «j’entends». Par la suite, iels peuvent en reparler seul·e·x·s ou en médiation avec un membre du groupe care.
La prise de décision au sein de cette communauté tend au consentement par tout le monde. Il ne s’agit pas de compromis mais de la création, à chaque désaccord, d’une solution qui respecte et prend en considération l’opinion de tout·e·x·s. Il s’agit bien sûr d’un idéal et, encore une fois, les zadistes sont lucides quant à leurs limites.
Cet idéal illustre la volonté d’une place pour chacun·e·x au sein de cette communauté. Chaque individu est le bienvenu quelles que soient ses capacités, ses origines, son âge, ses raisons d’être là ou son identité de genre et/ou sexuelle. Ce lieu se veut ouvert et permet à tout·e·x·s d’apprendre, d’expérimenter, d’essayer et de créer.
En plus de la vie collective, les zadistes ont également de quoi nous apprendre sur la vie en lien avec la nature. Iels sont conscient·e·x·s que leurs installations ont un impact sur l’environnement et tentent d’y remédier. Par exemple, les biologistes de la région les ont aidé à marquer chaque orchidée par un drapeau rouge et à mettre des petites barrières pour protéger les lieux qui contiennent des matériaux importants pour la préservation de la vie sur la colline, tel le calcaire. Iels ont également créé des chemins en copeaux afin de moins piétiner l’herbe et mis en place un lieu de récolte et de tri des déchets. Leur respect pour le vivant les amène à préconiser une alimentation vegan. Celle-ci n’est pas obligatoire mais encouragée. Une zadiste, en riant, nous indique ce lieu de vie comme «freegan».
Pour finir, j’aimerais reprendre cette phrase entendue là-bas: «Nous ne sommes pas ici pour défendre deux tilleuls et trois orchidées». En effet, ce que les zadistes veulent mettre en question, c’est le fonctionnement global des pays dits développés. Leur style de vie est une invitation à se questionner sur nos besoins et à partager nos ressources en acceptant un mode de vie plus sobre, plus proche de la nature et de la vie en communauté. Les zadistes vivent de peu, matériellement parlant. Iels préconisent le recyclage et la créativité qui permet de faire avec ce que nous avons déjà plutôt que de produire encore et encore. C’est en termes d’intensité du moment présent, de partage, de créativité et de respect, qu’est leur richesse. Sobriété et solidarité, voilà ce que nous ont appris et continuent à nous apprendre les zadistes de la colline du Mormont.